• Le convoi funèbre de Goriot
    Le père Goriot

    De "Les deux prêtres" à "madame de Nucingen. "

     Introduction
    Dans les pages précédentes, le narrateur a raconté la mort du père. Il a insisté sur la solitude de cette agonie : au retour de la soirée chez madame de Beauséant, Eugène a trouvé Goriot mourant. Christophe envoyé auprès des filles pour un secours d’argent n’obtient rien, Anastasie est en conférence avec son mari, Delphine dort. Les longues plaintes du père désignent l’objet de son mal : « Ne pas les avoir, voilà l’agonie » (page 350). Eugène effectue alors une démarche vers chacune d’elles, vainement. Anastasie seule viendra, mais trop tard, son père aura sombré dans l’inconscience. Goriot meurt sans avoir revu celles à qui il a tout sacrifié.
    La narrateur a montré aussi la sollicitude d’Eugène auprès de l’agonisant, son dévouement, sa fidélité envers ce vieil homme, qu’il soigne et veille avec constance, tout imprégné encore des valeurs affectives de sa famille.

    Cette dernière page du roman raconte la brève cérémonie funèbre du malheureux Père Goriot. Elle fournit les derniers éléments nécessaires au dénouement : les thèmes essentiels de l’œuvre, abandon du père et ambition exacerbée de Rastignac, s’y trouvent liés l’un a l’autre et traités avec le maximum d’intensité. Un double itinéraire s’achève, celui d’une vie de dévouement man récompensée pour le père, et celui d’une éducation pour Eugène. Le commentaire envisagera successivement les deux parties du texte, l’une consacrée au disparu et l’autre à Rastignac.

     I/ Goriot : les funérailles d’un pauvre
    Ces funérailles se déroulent sous le triple signe de l’abandon, de la précipitation et de la contrainte d’argent.

    L’abandon du père par les filles sa solitude près la mort comme dans l’agonie, sont perceptibles à travers plusieurs expressions : « Il n’y avait qu’une seul voiture de deuil… Il n’y a point de suite… deux voitures armoriées mais vides ». On remarquera l’alliance de ces deux termes, « armoriées mais vides », qui marque la noblesse du titre alliée à l’absence de sentiments : le cœur des filles est vide comme les voitures. Socialement, les apparences sont sauves, les filles sont représentées aussi par leurs domestiques, « les gens de ses filles ». Leur absence porte la triste confirmation d’un abandon perpétré dès longtemps pour les raisons de prestige social, le père ancien commerçant, et de surcroît ruiné, étant une compagnie peu distinguée.
    La précipitation, la hâte d’en finir sont manifestes à travers un lexique temporel qui souligne de façon réitérée le caractère expéditif de ces funérailles de pauvre. Toutes les interventions du clergé sont parcimonieusement chronométrées : « Le service dura vingt minutes… Nous pouvons aller vite… il est cinq heures et demie… A six heures, le Père Goriot… ». Enfin, tous disparaissent « aussitôt que fut dite la courte prière… ».Cette impression de funérailles au pas de course est accentuée par la notation dépouillée des faits, qui sont dits brièvement, dans leur nudité, sans commentaire. Toute une série de verbes au passé simple établit la succession nue et banale des évènements : « Les deux prêtres… vinrent et donnèrent,… les gens du clergé chantèrent,… deux voitures armoriées mais vides se présentèrent et suivirent… le corps du Père Goriot fut descendu… ». La structure de la phrase suggère même un escamotage de la descente dans la fosse, cet acte essentiel traité en quelques mots étant aussitôt supplanté par la débandade de tous : « A six heures, le corps du Père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l’argent de l’étudiant ».Vous aurez noté, dans cette ample période, la disproportion entre la partie très brève consacrée au défunt, oublié sitôt après le mot « fosse », et la fuite des assistants longuement évoquée.
    La contrainte de l’argent a été dominante tout au long du roman ; elle est rappelée ici dans un registre lexical très insistant, et elle s’exerce jusqu’au bord de la tombe : à l’église, Goriot obtient « tout ce qu’on peut avoir pour soixante-dix francs », car « le religion n’est pas assez riche pour payer gratis ». Au cimetière, le clergé mesure son temps sur « l’argent de l’étudiant ». Dans la fosse même, « l’un des fossoyeurs lui demanda un pourboire ». Alors « Eugène fut forcé d’emprunter vingt sous à Christophe ». L’argent toujours : jusqu’au bout de la vie, et dans la mort même, sans argent on n’a rien. Il conditionne aussi l’intervention du clergé, qui est assimilée à une prestation de service exactement tarifiée.

     II/ Rastignac : l’achèvement d’un itinéraire
    En un court moment, et en quelques phrases, le deuil dans le cœur d’Eugène est supplanté par le désir de parvenir.

    L’adieu au passé est suscité par le choc des vingt sous qu’il n’a pas et qui agissent sur Eugène comme un déclic révélateur de l’égoïsme social : « Ce fait si léger en lui-même détermina chez Rastignac un accès d’horrible tristesse ». Il prend alors une conscience plus aiguë que jamais de son dénuement personnel. Le jeune homme d’autrefois meurt à ce moment : le spectacle de la pauvreté entraîne la révolte, le refus de se laisser réduire soi-même à l’état d’un Goriot. Ici, Eugène pleure sur un mort qui est aussi l’adolescent d’hier, un garçon honnête et pauvre, auquel il dit adieu. La scène est réussie sur le plan poétique : le crépuscule de la journée, le déclin de la saison, la mort du père et la fin des illusions, tout cela est dans le m ême tonalité triste.
    Le passage du passé à l’avenir est instantané chez rastignac. Il ne reste pas longtemps prisonnier de sa tristesse, il trouve vite en lui une détermination nouvelle : « Il se croisa les bras, contempla les nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta ». Le passage de la tombe où gît la victime vers les nuages, ce mouvement d’ascension du regard, marque le retour à la vie, le recommencement de l’espérance, une deuxième naissance. Plongé dans ses méditations, concentré sur sa pensée, Eugène est devenu un autre homme ; ce court début de phrase, « Il se croisa les bras, regarda les nuages… », marque la détermination et la foi dans l’avenir.
    Paris apparaît alors comme objet de désir. L’espérance retrouvée, c’est la fascination du Paris élégant, perçu comme ne proie désirable. Il faut faire l’analyse précise de l’avant-dernier paragraphe où chaque terme montre les séductions de ce monde sous le regard d’un homme jeune. La sensualité de paris est dans « tortueusement couché », comme dans une pose de courtisane. L’éclat des fêtes est celui d’une ville où « commençaient à briller les lumières », qui annoncent les dîners, les bals de la nuit. La richesse fascine Rastignac, il voit les seuls beaux quartiers, « là où vivait ce beau monde ». Enfin, comme prolongement de tout ce spectacle significatif, émerge le désir réaffirmé de participer au festin, de jouir des douceurs offertes, « un regard qui semblait par avance en pomper le miel », qui dit l’appétit sensuel de savourer, d’avaler à longs traits.
    La volonté exacerbée de la conquête s’énonce de façon concentré dans la fameuse apostrophe à la capitale : « A nous deux maintenant! ». Par là, l’ambitieux affirme sa volonté de prendre possession de tout ce qui s’offre et se déploie sous son regard. Par ce langage de conquérant un peu théâtral et emphatique, en harmonie avec la pose physique, il marque l’assurance de la jeunesse, sa détermination, sa présomption aussi.
    Rastignac ne reste jamais longtemps au stade du désir, chez lui le passage à l’acte est immédiat : « Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen », un dîner d’ambitieux plus que d’amoureux, il n’est plus désigné par son prénom Eugène, il est Rastignac, et cela sonne dur, pour un dîner chez une femme désignée du nom de son mari banquier, et pas son nom d’amante, Delphine. Dîner chez elle dès ce soir-là, c’est renoncer à la juger, c’est accepter sa sècheresse de cœur, son ingratitude filiale, c’est donc la traiter en instrument d’un ambition. Parvenir en exploitant l’amour à des fins mercantiles : voilà Rastignac qui met en pratique les conseils exposés autrefois à Eugène par Vautrin.

     Conclusion
    Cette dernière page du roman est le point de rencontre des thèmes importants : une vie s’achève, une autre commence.

    Le thème fondamental du roman, l’égoïsme préféré et pratiqué au lieu de la générosité, reçoit ici son ultime et capitale expression : la mort même peut effacer le culte d’intérêt personnel dans les cœurs indifférents. La méconnaissance des bons et des grands sentiments a été poussée jusqu’aux extrêmes limites : Goriot est désavoué par tus, par ses filles absentes de son lit de mort et du cimetière, et aussi par le jeune homme, qui certes s’est occupé de lui affectueusement, mais qui va vivre selon les principes opposés aux siens.
    Une ultime et décisive leçon. Face à la tombe, Eugène a scruté le fond des cœurs. La mort pathétique de père marque la fin de son éducation. Le voilà seul désormais face à la vie, en position d’adulte ; ses maîtres, ou ses inspirateurs, l’ont quitté : Mme de Beauséant retirée, Vautrin arrêté, Goriot mort. A lui de vivre en assumant un chois déjà largement engagé et renforcé par l’épisode final. Le destin du père Goriot aura contribué jusqu’au bout à l’apprentissage d’Eugène.
    Les deux fils de l’intrigue se rejoignent au bord de la tombe de Goriot : celui du père dépouillé et celui du jeune homme ambitieux, cependant que la filiation plus discrète avec Vautrin s’affirme dans la décision d’utiliser Delphine, femme du banquier, à ses fins d’enrichissement.

    (Florence.F) 

     

     


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  • La réussite sociale de Rastignac
    Le père Goriot

    De "Le lendemain" à "d’une façon diabolique. "

     Introduction
    • Ayant écouté et refusé les moyens de faire fortune que lui proposait Vautrin, Rastignac a choisit une autre voie, celle indiquée en ces termes pas sa cousine de Beauséant : « Voyez-vous, vous ne serez rien ici si vous n’avez pas une femme qui s’intéresse à vous. Il vous la faut jeune, riche, élégante » (page 115).
    • Grâce à elle, il a été présenté à Delphine de Nucingen, à qui il a fait, au théâtre des Italiens, une cour ardente. Il lui a ensuite rendu le service de la dégager d’une dette à l’égard de son ancien amant, de Marsay, et leur intimité s’est fortifiée des confidences qu’elle lui a faites sur ses déceptions sentimentales et sur la situation financière étriquée où la réduisait son mari. Leur rendez-vous suivant, évoqué dans le présent extrait, est au bal de la duchesse de Carigliano. Rastignac va y trouver la révélation d’une situation mondaine meilleure encore qu’il ne l’escomptait.
    • Ce passage confirme l’analyse de Mme de Beauséant sur l’influence prépondérante des femmes dans la société. Il montre, d’autre part, l’éblouissement de Rastignac qui se voit déjà solidement installé dans le grand monde.
       

     I/ Le personnage au cœur du récit
    La narration adopte le point de vue principal, rendu omniprésent, point mire du récit et de l’attention de tous.

    Le point de vue exclusif de Rastignac organise la description de cette scène de saloon. C’est sa perception des choses qui est exposée. Il est présent grammaticalement dans toutes les phrases, il est appelé Rastignac, ou Eugène, ou l’étudiant, et plus souvent désigné sous forme de pronom sujet ou complément.
    Les effets magiques de sa filiation aristocratique sont clairement perçus pas Eugène ainsi placé en position centrale. Une phrase résume ses réflexions : « l’étudiant… comprit qu’il avait un état dans le monde en étant cousin avoué de Mme de Beauséant ». Cette constatation se trouve concrétisée tout au long de la soirée par de multiples expressions qui sont autant de marques de son adoption dans le monde : « Il reçut le plus gracieux accueil de la maréchale…tous les jeunes gens lui jetaient des regards d’envie… il entendit vanter son bonheur…Les femmes lui prédisaient toutes des succès… A ce bal, Rastignac reçut plusieurs engagements…Il fut présenté par sa cousine à quelques femmes… ». Et pour terminer, une formule hyperbolique : « Il se vit lancé dans le plus grand et le plus beau monde de Paris ».
    Un nouvel équilibre de la relation amoureuse est établi par le succès d’Eugène, une inversion du rapport de séduction entre les deux amants. La suprématie passe de son côté, il se sent en position de supériorité sociale, donc sentimentale, il est celui « de qui elle attendait impatiemment un coup d’œil » et à qui elle promet pour le soir un baiser refusé la veille. Notez l’intervention de narrateur, qui apporte un commentaire tiré de son expérience personnelle sur la satisfaction éprouvée par l’amant sûr de lui : « Pour qui sait deviner les émotions d’une femme… ».
    Eugène vogue dans l’irréel : adulé, courtisé, il en vient à éprouver de vrais émois de jeune fille ; il se féminise dans ses émotions, il devient comme la coqueluche de tous : merveilleuse soirée, « il devait s’en souvenir jusque dans ses vieux jours, comme une jeune fille se souvient du bal où elle a eu des triomphes ». Cette dernière phrase souligne le climat d’euphorie où baigne l’étudiant qui se voit un peu vite en membre aristocratique.

     II/ Prééminence sociale des femmes
    Dans les cercles aristocratiques de la vie mondaine, les femmes et els hommes ne jouent pas un rôle égal.

    Le rôle déterminant des femmes. Plusieurs signes viennent confirmer le propos de Mme de Beauséant sur le rôle déterminant des protectrices. D’abord Eugène « reçut le plus gracieux accueil de la maréchale ». Ensuite, il est distingué en sa qualité d’amant pRésumé: Delphine ; c’est essentiellement cela qui le pose, et non ses capacités ou ses talents éventuels :
    « La conquête de madame de Nucingen, qu’on lui donnait déjà, le mettait si bien en relief que tous les jeunes gens lui jetaient des regards d’envie ». Les femmes vont s’employer à faire sa réussite : « Les femmes lui prédisaient toutes des succès », féminins ou sociaux, on ne sait, et sans doute les deux vont-ils de pair. Car ce sont les femmes qui animent la vie sociale en leur qualité de maîtresses de maison, ce sont elles qui reçoivent et choisissent leurs invités : « il fut présenté par sa cousine à quelques femmes… dont les passaient pour être agréables ».
    Cet univers féminisé convient à Eugène, qui vit depuis l’enfance au sein d’un véritable gynécée : sa mère, ses sœurs, la tante Marcillac, Mme de Beauséant, Delphine, Victorine, et toutes les admiratrices du bal, voilà un garçon comblé de sollicitudes féminines.
    Le rôle secondaire des hommes. Les seuls hommes présents sont des « jeunes gens », pour qui l’amour est la grande affaire de la vie. Aucune mention n’est faite des hommes d’âge mûr, distingués par l’éminence de leurs fonctions ou l’étendue de leur fortune. Les maris ne sont pas évoqués. Dans cet univers féminisé, on notera aussi l’absence de tout vocabulaire à connotation réaliste comme travail, argent, rentes, revenus, place, spéculation, appointements, etc. Les jeunes gens sont en situation de dépendance intellectuelle et morale par rapport aux femmes : ils remarquent Eugène non de leur propre initiative, mais parce qu’il a été désigné à leur attention pas les femmes en vue de la soirée ; ils ne l’envient pas pour ses talents, mais pour le prestige qu’il tire d’une maîtresse présumée. Il n’y a entre lui et eux aucune communication directe.

     III/ Le retour au réel
    Le scepticisme railleur de Vautrin s’impose brutalement, sans aucune rupture typographique, dans la suite immédiate de l’émerveillement du bal : « Le lendemain, quand, au déjeuner, il raconta ses succès au Père Goriot, devant les pensionnaires, Vautrin se prit à sourire d’une façon diabolique. »
    Cet enchaînement sans solution de continuité en dit long sur le caractère illusoire de l’ivresse mondaine de l’étudiant. En un sourire, Vautrin lui fait entrevoir la fragilité d’une réussite qui n’a pas les moyens matériels de se maintenir. On lira avec profit la suite du texte (page 206), où l’homme d’expérience établit avec une cruelle précision le coût exorbitant pour Eugène de la vie où il rêve de s’engager.

     Conclusion
    On soulignera le double intérêt du texte : c’est à la fois un tableau de la société mondaine et un tournant du récit. Il va conduire Eugène, fasciné par l’éclat de cette société, à céder aux tentations criminelles de Vautrin, qui lui permettront d’y accéder.

    Un tableau de la société mondaine. En nous peignant le tableau d’une vie mondaine fondée sur l’inégalité tranchée des rôles masculins et féminins, ce texte offre un intérêt sociologique ; si l’essentiel de la vie se passe dans les salons, si la promotion sociale dépend de l’accueil dans les grandes maisons, et non des capacités de l’esprit ou du caractère (on parlerait aujourd’hui de compétences professionnelles), effectivement l’influence des femmes a pu être déterminante. Mais on se souviendra que dans la jeunesse de Balzac, une protectrice, Mme de Berny, a été l’amante et la conseillère ; la vision féminisée des salons dans Le père Goriot relève donc aussi du vécu de l’auteur.
    Un tournant du récit. Ce texte présente un moment clé dans le récit : il nous décrit le point culminant de l’ascension d’Eugène. Il paraît confirmer la vision du monde exposée par madame de Beauséant. Mais cette situation est aussi fragile que brillante, Eugène n’ayant pas les moyens de soutenir son train de vie. La rechute dans les soucis d’argent, et aussi les déceptions de l’amour, vont lui démontrer bientôt que son apprentissage est loin d’être terminé.

    (Florence.F)


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  • Le portrait de Vautrin
    Le père Goriot

    De "Entre ces deux personnages" à "soigneusement enfoui. "

     Introduction
    Ce portrait se trouve dans la première partie du roman, il prend place logique dans le cadre de la présentation très complète des lieux et des personnages. Après avoir décrit la pension, le narrateur nous promène dans une véritable galerie où figurent la propriétaire Mme Vauquer, qui deux séries de figures groupées, la vieille demoiselle Michonneau avec Poiret, qui se ressemblent, et Victorine avec madame Couture sa gouvernante. Voici à son tour Vautrin. Puis sera évoquée la biographie de Goriot.

    Quand il présent un personnage, le narrateur veut créer un effet de réalité en imposant une physionomie. Dans le cas de Vautrin, personnage déguisé sous une fausse identité, l’entreprise est plus complexe : il faut décrire la seule apparence et en même temps livrer des indices qui préparent le dévoilement à venir. On s’interrogera donc sur le r éalisme de ce portrait de ce portrait et sur sa dimension énigmatique.

     I/ L’ordre de la composition
    Comment a-t-il ordonné les éléments de cette personnalité ? Après une phrase d’annonce qui lui donne le ton, « Voilà un fameux gaillard », la construction se développe en trois temps :
    - quelques aspects physiques d’abord : « Entre ces deux personnages… ne déplaisait point »;
    - puis viennent les traits marquants de la personnalité : « Il était obligeant… tous els sentiments »;
    - enfin, les habitudes de vie : « Ses mœurs consistaient… au dessert ».
    Donc trois angles d’observation ont été choisis, trois approches tout à fait logiques et bien propres à faire le tour du personnage : le physique, la personnalité, les occupations.

     II/ La puissance corporelle
    Vautrin est d’abord un homme impressionnant par son apparence physique, qui rend immédiatement perceptible sa force et laisse deviner un passé intensément vécu.

    La force du personnage est manifeste dès l’expression initiale, « Vautrin, l’homme de quarante ans », qui dénote la plénitude de la maturité, en contraste avec Eugène et Victorine, qui sont de tendres jeunes gens, presque adolescents, et avec Poiret et Goriot, tous deux sur le déclin de l’âge. Le recours à une formule populaire, « un fameux gaillard », plus expressive qu’un longue phrase, et placée en exergue à l’orée de la description physique, manifeste en peu de mots la vigueur, la prestance, l’audace.
    Les aspects les plus révélateurs sont énumérés avec simplicité, en compléments directs du verbe « Il avait », à savoir « les épaules larges… le buste…les muscles…des mains épaisses ». La description rebondit ensuite sur « sa figure, rayée » et « sa voix de basse-taille » (une voix intermédiaire entre le baryton et la basse). Donc un choix et une mise en ordre; mais comment en serait-il autrement ? Le narrateur ne doit-il pas toujours choisir un réel inépuisable, et mettre en ordre pour être clair ? On remarquera surtout la caractérisation des mains, redoutables comme des outils de combat, « des mains épaisses carrées ». L’impression va jusqu’à un léger écoeurement, une répugnance à cause de cas « bouquets de pois touffus et d’un roux ardent », qui sont une marque de brutalité animale.
    Dans la physionomie, on interprétera correctement ce signe apparent, les rides : « sa figure rayée par des rides prématurées… »;elles ne traduisent pas l’usure de l’âge, mais elles constituent la marque d’une vie intense, singulière, assez forte pour avoir laissé des traces; en somme, une face burinée de grand navigateur de la vie.

     III/ Les domaines de l’expérience
    Vautrin est également un homme qui a su tirer parti de ses innombrables expériences.

    Son habileté. L’exemple de la dextérité manuelle, la remise en état des serrures, a té visiblement choisi en fonction de sa valeur prémonitoire très évidente. Le rythme enlevé de la phrase, construite en juxtaposition de participes passés, marque bien l’agilité dans la manipulation : « Si quelque serrure allait mal, il l’avait bientôt démontée, rafistolée, remontée… ». Au-delà du mouvement des mains, ces mains redoutables que l’on voit en action, on sent l’efficacité d’un homme qui règle vite les problèmes, qui tranche, agit et va de l’avant dans le concret et dans la vie.
    Le champ de son savoir est très large; l’expérience, tel est sans doute le trait dominant d’un personnage qui a bourlingué. Beaucoup de naturel dans la succession des traits avec ce « Il connaissait tout d’ailleurs », qui enchaîne sur un propos habituel à Vautrin, « Ca me connaît ». Ensuite, le portrait avance avec une vivacité spontanée, construit sur une énumération en cascade de substantifs pour marquer la multiplicité de ses informations : « les vaisseaux, la mer, la France, les affaires, les hommes, les évènements, les lois, les hôtels et les prisons ».
    Essayons de classer des divers registres de cette diverse expérience :
    - d’abord, on regroupe «les vaisseaux, le mer, la France, l’étranger » : ces termes marquent le mouvement, Vautrin n’est pas un sédentaire, il connaît des pays, il a couru le monde, il a mené une vie aventureuse;
    - ensuite, on rapproche « les affaires, les hommes, les évènements » : ce n’est pas un contemplatif, ni homme d’étude, mais un praticien, il a été mêlé aux choses et aux gens, en acteur fortement impliqué;
    - enfin, on réunit « les lois, les hôtels et les prisons » : ici apparaît son originalité, il a réfléchi à l’ordre social, il a eu affaire avec la loi; il a vécu en itinérant, sans domicile permanent, et peut-être a-t-il connu la prison.

     IV/ Le regard
    Le regard est analysé comme une voie d’accès vers l’âme; on déchiffre l’homme Vautrin en lisant dans ses yeux, où l’on perçoit deux choses :

    La détermination, la fermeté du caractère : « un certain regard profond plein de résolution ». L’impression est confirmée par une observation annexe qui marque chez le narrateur le souci du détail pour faire vrai : « A la manière dont il lançait un jet de salive, il annonçait un sang-froid imperturbable qui ne devait pas le faire reculer devant un crime… ». L’imputation paraît un peu aventureuse, établie sur un indice aussi minime. Mais le narrateur est fort bien informé de la suite et il nous livre une piste de lecture.
    Son pouvoir scrutateur, sa pénétration, sa perspicacité : « son œil semblait aller au fond de toutes les questions, de toutes les consciences, de tous les sentiments », au fond des choses et des gens. Le regard constitue pour Vautrin un moyen privilégié d’investigation des êtres, il devinera aisément Rastignac.

     V/ Les contrastes du personnage
    Ce portrait nous est donné comme une énigme à déchiffrer, il contient des indices par lesquels le narrateur prépare le dévoilement futur du personnage.

    Les indices révélateurs sont manifestes si l’on relit le portrait à la lumière de ce que l’on apprendra plus tard sur Vautrin, de son vrai nom Jacques Collin, bagnard évadé travesti en bourgeois inoffensif : premier signe d’un possible déguisement, cet homme « à favoris peints » vise la dissimulation et non la simple coquetterie. Sa façon d’être manifeste un effort pour adoucir la rudesse naturelle du visage par des matières plus engageantes : « sa figue… offrait des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes ». Ainsi le personnage maintient-il l’équilibre rassurant. Le même effort tend à atténuer la voix au son grave par l’humeur gaie : « sa voie de basse-taille, en harmonie avec sa grosse gaîté ». Enfin, rapprochons les expressions antithétiques : « Il était obligeant et rieur » et « ses obligés seraient morts plutôt que de ne pas le lui rendre ». Et continuons la comparaison être l’air et le regard : « tant, malgré son air bonhomme, il imprimait de crainte par un certain regard profond et plein de résolution ».
    L’arrière-plan des comportements peut aussi se déchiffrer derrière ce portrait.
    De mystérieuses activités. L’homme est très occupé à l’extérieur, le centre de gravité de sa vie se situant hors de la pension : « Ses mœurs consistaient à sortir après le déjeuner, à revenir pour dîner, à décamper pour toute la soirée, et à rentrer vers minuit… ». Il est indépendant et dissimulé, il jouit d’un statut particulier, le passe-partout dont il disposé seul et qui constitue un moyen de liberté et de discrétion.
    Une fausse bonhomie. La curieuse affection qu’il déploie à l’égard de la propriétaire « qu’il appelait maman en la saisissant par la taille » s’interprète comme une sage précaution : elle est la maîtresse de maison, il capte sa bienveillance en homme qui, se sachant de redoutables ennemis à l’extérieur, cherche des alliés et assure sa sécurité dans le monde clos de la pension. Il se fait aussi passer pour débonnaire et un peu niais en courtisant la pesante veuve.
    L’apparence d’un bon vivant. Par le douceur du gloria (café mêlé d’eau-de-vie), Vautrin se pose en client généreux, il arrange les affaires de la tenancière en consommant en simple mortel qui a sa petite faiblesse, un bon vivant sans beaucoup de volonté se donnant comme tout le monde une jouissance de bouche bien anodine, alors qu’en réalité ses centres d’intérêt se situent dans une sphère bien supérieure.
    On a dons pu déceler, dans l’éclairage rétrospectif de ce que l’on apprend plus tard, une part de calcul dans les façons d’être de ce pensionnaire aux mœurs en apparence si ordinaires.

     Conclusion
    Ce passage est à la fois un portrait et un élément romanesque important, puisqu’on y livre au lecteur des indices sur le passé mystérieux de Vautrin, et des dignes annonciateurs du coup de théâtre que sera son arrestation.

    Vautrin est un personnage massif, visuellement présent dans sa force. Il est doté d’une configuration physique qui est un spectacle et que l’on gardera en mémoire pour bien « voir » la grande scène de son arrestation. Ce portrait remplit donc une fonction essentielle du roman, donner l’impression de la réalité.
    Force physique et détermination morale. Cette présence du personnage est accentuée par l’union de la force physique est de la détermination morale; pour mieux le donner à voir et à sentir, le narrateur instaure un lien très fort entre ces deux composantes. Vigueur du corps, de l’esprit et du caractère vont de pair; l’âme de Vautrin est bien chez elle dans le corps de Vautrin, l’une façonnée à dessein, semble-t-il, à le mesure de l’autre.
    Des indices pour le lecteur. Ce portrait révèle de la technique du roman policier : le narrateur délivre des brides d’information, il sème des interrogations, mais en professionnel averti de la chose romanesque, il ne vend pas le mèche si vite, il ne dit pas tout ce qu’il sait, il se borne à une demi confiance, juste assez pour éveiller la curiosité en laissant entendre « qu’il avait au fond de sa vie un mystère soigneusement enfoui ». N’est-ce pas d’ailleurs l’usage constant dans le métier de faiseur de romans que le distiller les informations avec la plus circonspecte parcimonie ? il faut garder le lecteur captif jusqu’au bout, et trois cents pages d’intérêt, c’est une longue distance à tenir !

    (Florence.F) 


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  • Voilà un site qui propose un résumé "rapide" des mouvements littéraires :

    http://devoirtoutfait.com/mouvement.html 


    ...et pour ceux qui voudrait la frise chronologique qui se trouve dans le manuel de littérature :

    △LES MOUVEMENTS LITTERAIRES△LES MOUVEMENTS LITTERAIRES△LES MOUVEMENTS LITTERAIRES△LES MOUVEMENTS LITTERAIRES


     

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  •  « Le baron de Rastignac veut-il être avocat […] La corruption est une force, le talent est rare » (p 164-166).

     

    è      Quelle est la stratégie argumentative déployée par Vautrin ?

    Il s’agit d’un discours argumentatif qui progresse par élimination de tous les moyens honnête de faire fortune. Le registre employé est didactique (enseignement). + parler de Balzac. Vautrin devine les besoin de Rastignac.

    Situation du passage : Rastignac a besoin d’argent. Ce passage est situé entre une discussion de Vautrin et Rastignac. Vautrin dit à Rastignac qu’il ne sert à rien de travailler et être honnête, il faut mieux se marier à une riche jeune fille. Il lui propose un marché. Il lui donne de l’argent si Rastignac se marie avec Victoria Taillefer > Aucun moyen honnête ne permet de s’enrichir. Pour cela, il a recourt à un discourt argumentatif.

     

    1 L’emploie de comparaisons suggérant la violence

    Vautrin a recourt à des images extrêmement forte comme les comparaisons suivantes :

    -          se manger les uns les autres comme des araignées dans un pot.

    -          Entrer dans cette masse d’homme « comme un boulet de canon ».

    -          S’y glisser « comme une peste ».

    Les 3 comparaisons soulignent l’argument clef : Vautrin démontre à Rastignac qu’on ne peut faire fortune ni en travaillant ni en se mariant. Dans ces conditions, si on veut parvenir à la haute position sociale et à la fortune, il faut s’imposer de force. Le raisonnement prend un tour mathématique convainquant.

    Rastignac fait partit des 50 000 jeunes gens qui cherchent à faire fortune rapidement donc, il doit dévorer ses concurrents « comme une araignée dans un pot » renforce l’idée d’étouffement et renforce cette argumentation. Les deux autres comparaisons renvoient à de véritables fléau pour l’homme : la guerre et les épidémies ; elles soulignent pour Rastignac la nécessité où il se trouve d’éliminer ses adversaires.

    Les trois comparaisons amènent à la conclusion suivante : « l’honnêteté ne sert à rien », conclusion que Vautrin n’a plus qu’à développer.

     

    2 Les procédés rhétoriques

    Pour mieux convaincre Rastignac, Vautrin à recours :

    ·        il va employer des procédés syntaxique. (Emploie d’interrogation et d’exclamation qui interpellent son interlocuteur)

     Ex : « le baron de Rastignac veut-il être avocat ? », « Veuillez-vous vous marier ? »

    Emplois d’exclamations qui traduisent des sentiments de Vautrin. Ex : « Oh ! Jolie ! » -> moqueur

    «Des bassesses à dégoûter une truie » ->lexique  péjoratif et « pouah » qui montre un dégoût,

     « parvenir (italique), parvenir à tout pris », « bravo » traduit l’enthousiasme de Vautrin

    ·        Emploie de tournure familières et directes (registre de langue).

    Ex : « Vautrin encore mieux guerroyer », « Tout ça n’est pas gai ».

    ·        Impératif. Ex : « trouvez moi dans Paris », « Choisissez »

    ·        Un choix du lexique. Ex :(énumérations de groupes infinitifs), «partir pendant 10 ans », « baiser la robe d’un avoué » .

     

    ·        Jeu sur les pronoms personnels -> « nous » employé par Vautrin pour parler

    de Rastignac. Il se met au niveau de Rastignac -> « nous » de modestie.    « Nous (tu) avons une ressource dans la dot d’une femme. », «nos sentiments d’honneur, notre noblesse »

    -> « Vous » pour mieux l’impressionner.

    ·        Rythme des phrases : Les phrases courtes dominent. Des phrases brèvent nominales ou infinitives donnent de la rapidité et de la conviction au discours de Vautrin. Le « vous » scande (imprime un rythme) au discours et en augmente les faits convainquant
     

    3) Le jugement porté par Vautrin sur la société de son temps

     

    Dénonce la toute puissance de l’argent => champ lexical

    Corruption (morale) -> hypocrisie pour s’élever dans la société (« baiser la robe d’un avouer »).

    Il faut avoir une grande volonté pour réussir dans la vie.

     

    o        Vautrin est un exclu mais il a un sens personnel de l’honneur : « s’amoindrire l’âme ». =>accepter la compromission, lui fait horreur (« baiser la robe d’un avoué ») et il préfère lutter contre tous.

    o        La société est fermé, elle ne laisse pas passer ceux qui sont en marge ou à l’extérieur : Il faut briser le bocal pour y entrer.

    o        L’argent : Cette société n’a de la considération que pour l’argent et n’accorde de valeur au travail, il faut donc la combattre, d’où le lexique de la guerre car l’argent est le sang de la société. (« vous avez saigné vos sœurs »)

    o        C’est une société corrompue, la vertu que Vautrin définit comme « arme de la médiocrité » est inutile, elle ne peut conduire qu’à la misère (« un gas de la force de Poiret »). La société est un égout c’est pourquoi il convient de « se laver »

     

    Conclusion (à développer à l’oral) :

    Rastignac va comprendre la leçon mais ne l’a mettra en œuvre qu’à la fin du roman. Le jugement de Vautrin est rique (aller en se moquant contre les valeurs en place) mais plutôt convainquant et partagé par l’auteur => Vautrin est le porte-parole de Balzac.

     

    Questions ressorties au bac :

    è      Quelle philosophie ressort du discours de Vautrin ?

    è      Quelle est la teneur de la leçon donné par Vautrin ?


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